L’homme à puces: vers quel humanisme?

Après les iPhones, voici les lunettes Google. Elles permettront de s’orienter et d’utiliser de multiples applications en se connectant à internet par un simple attouchement sur la monture. Nous aurons presque toutes les fonctions d’un portable sur notre visage. Et dans l’avenir, on nous incorporera des puces pour payer à la caisse d’un supermarché, mais aussi peut-être pour connecter notre cerveau au réseau. Que nous le voulions ou non, nous deviendrons sans doute un «homme à puces» qui recevra un flux d’informations directement sur son écran mental. Sans compter qu’on remplacera nos organes malades par des organes artificiels, comme les pièces d’une voiture. Cette fusion progressive de l’homme avec la machine est-elle une avancée ou un danger?

Certains s’extasient et parlent d’homme augmenté ou de transhumanisme. Dans cet avenir radieux, de magnifiques perspectives se profilent. Ne sommes-nous pas déjà connectés au monde entier tout en disposant d’un réservoir gigantesque d’informations? D’autres, comme Jean-Michel Besnier, professeur à la Sorbonne, s’inquiètent de voir apparaître un «homme simplifié» (titre de son livre) qui serait un homme diminué: «L’obéissance quotidienne à un système binaire conduit inéluctablement à l’avènement d’un monstre hybride entre l’homme et la machine.» L’ère de l’homme numérique reconfiguré par la technique, ne se mue-t-elle pas en servitude volontaire puisque l’être humain est petit à petit asservi par la machine sans s’en rendre compte?

Qui a raison? Ni les uns, ni les autres. Je pense qu’il ne faut tomber ni dans l’optimisme béat, ni dans le catastrophisme. On ne peut nier les avancées évidentes de la technologie. Qui souhaiterait se priver du téléphone ou d’internet? Mais deux constats s’imposent. Tout d’abord l’évolution technique vers l’extérieur n’a pas été accompagnée d’un progrès proportionnel de l’intériorité et de la conscience. Au contraire les espaces intérieurs de l’homme tendent à se désertifier, nos contemporains étant de plus en plus happés vers un extérieur virtuel. Ensuite on oublie de s’interroger sur le sens de cette révolution technologique. Quel type d’homme voulons-nous? Einstein le disait déjà: «Ce qui caractérise notre époque, c’est une grande précision au niveau des moyens, mais une grande confusion au niveau des buts.» Entraînés dans un carrousel d’images s’affichant sur nos écrans, nous manquons paradoxalement de vision. Et cette vision permettant de discerner les enjeux du futur ne s’élabore que par la réflexion dans notre for intérieur.

Woman MeditatingD’où le défi majeur de notre époque: marier l’essor technique avec un développement de l’intériorité, faute de quoi nous finirons en hommes machines manipulés par d’habiles marionnettistes, comme le prisonnier de Platon enchaîné dans une caverne et captivé par des ombres projetées sur le mur du fond. «L’homme passe infiniment l’homme», dit Blaise Pascal. Mais l’inventeur de la machine à calculer ne va pas dans le sens d’un transhumanisme où l’homme s’augmente horizontalement par des prothèses informatisées. Pour lui, ce dépassement s’opère verticalement, en découvrant notre ciel intérieur qui s’ouvre vers l’infini. Vers le soleil du Bien, du Beau et du Vrai qui brille hors de la caverne, dirait Platon. L’expansion horizontale vers l’extérieur doit s’accompagner d’un élan vertical, fruit d’une intériorisation. Oui, mais comment? En apprenant la méditation dès le plus jeune âge et dans toutes les écoles. Méditation signifie d’ailleurs «itinéraire vers le milieu». En renouant aussi avec la lecture: le mot, contrairement à l’image qui enferme l’esprit dans une seule représentation, permet de s’approprier une situation en la recréant de façon personnalisée. Méditation et lecture: deux pratiques qui élèvent l’homme à puces en lui apprenant à préserver son humanité. Le voici doté d’un pilote intérieur qui oriente la technologie vers un but qu’il a librement choisi.

Jacques de Coulon
dans le journal La Liberté