En 1994, je suis allée faire des tests sanguins de routine et j’ai demandé de faire faire le test du HIV (sida) aussi. Quelques jours plus tard, un vendredi, la secrétaire de mon médecin m’appelle et me dit qu’il veut me rencontrer le lundi suivant. Je lui demande pourquoi. Elle bafouille que certains de mes résultats sanguins semblent poser problème. Je lui dis alors que je veux rencontrer le médecin tout de suite. Impossible, me répond-elle, il n’est pas là.
Je saute dans mon auto et vais au bureau du médecin. J’arrive à tirer les vers du nez de la (jeune) secrétaire qui finit par me montrer un petit carnet où il est écrit en rouge, à côté de mon nom, « HIV + », et de m’appeler pour que je vienne rencontrer le médecin.
« HIV + » veut dire séropositive = porteuse du sida. Mon sang n’a fait qu’un tour.
Ne pouvant rencontrer aucun médecin, je retourne à la maison auprès de mon chat et m’installe sur le sofa au coin du feu. Seule, sans famille, j’ai fait un retour sur ma vie en l’espace de quelques heures…
En l’espace d’une fraction de seconde, quand j’ai lu « HIV + », ma vie a basculé dans un autre espace-temps où, justement, le temps n’existait plus. Au lieu de penser, notamment, à tous les problèmes que je vivais avec ma boutique alors – qui s’en allait à la faillite suite aux conseils de « conseillères financières » totalement incompétentes -, je me suis subitement mise à penser à… moi ! Mes derniers rêves à réaliser avant de mourir, les gens que je voulais voir, mon testament à faire, les endroits du monde que je voulais voir, etc. Le temps s’est arrêté sur un espace à la fois de stress – ne rien manquer avant de partir et trouver comment faire pour arriver à tout réaliser – et de paix infinie qui habitait tout mon corps, subitement mis dans un état de calme immuable et profondément… profond : l’ici et maintenant, la présence à moi seule. J’étais retournée à ma source.
En fait, les mots me manquent pour décrire cet état de peur mêlée à un bien-être incommensurable. Ce fut un temps de ma vie extrêmement riche en sensations nouvelles.
Il est dur de décrire cet état dans lequel on atterrit quand on sait qu’on va éventuellement mourir. Il nous amène spontanément dans un espace d’ici et maintenant. Au lieu de courir après la vie, on la sent subitement être toute là, à l’intérieur de soi et le besoin de la savourer à chaque instant est urgent. J’ai donc passé la fin de semaine dans un état second, quasiment au « ralenti sur image » pour bien tout vivre pleinement, sans tomber dans aucune émotion puisque je ne voulais pas me monter des scénarios imaginaires sur une nouvelle non confirmée, jusqu’au rendez-vous avec mon médecin le lundi. Cet état m’a amenée à des prises de conscience profondes et magnifiques.
Quand je suis arrivée dans le bureau du médecin le lundi, j’étais quand même angoissée ! C’est là que, presque nonchalamment, il m’annonce que c’est un résultat « faux positif *», qu’il n’y a pas de quoi s’énerver !
– Ça veut dire quoi ?! Négatif ou positif ?
– Dans votre cas, je ne m’en ferais pas. Quand le labo annonce un faux positif, c’est négatif à 99% du temps. On va refaire les tests pour s’en assurer.
Le résultat final est arrivé dix jours plus tard : négatif. J’ai respiré plus librement et ai recommencé à fonctionner comme avant, en oubliant de vivre le moment présent mais en me promettant bien de m’y entraîner !
Il y a quelques mois, alors que je regardais une de mes séries préférées, Dr. House, j’ai appris que, lorsqu’on s’est fait inoculé des gamma globulines (pour se protéger de l’hépatite), il arrive fréquemment que le test du HIV soit « faux positif ». En l’occurrence, j’avais reçu cette injection en 1982 avant de partir en Inde et le test sanguin a été déclaré « faux positif » en 1996….
La mort de mon entreprise
Deux ans plus tard, l’huissier m’appelle un jour de printemps pour m’annoncer qu’il viendra mettre la clé dans la porte de mon entreprise dans dix jours.
J’étais seule à la boutique, les employés étant en congé ce jour-là. J’ai raccroché le téléphone et ai regardé dehors, par la fenêtre de la vitrine. Une larme a alors coulé le long de ma joue. Plus de cinq ans de plaisir à créer des vêtements et à habiller les enfants s’envolait en poussière. Je n’avais aucune idée des étapes à suivre pour me sortir de cette situation.
En une fraction de seconde, je me suis retrouvée dans le même état que lorsque j’ai appris que j’étais peut-être porteuse du HIV. Ici et maintenant, j’ai totalement lâché prise, atterrissant dans un espace de paix où rien ne bougeait en moi. Les larmes ont continué à couler. Figée, debout derrière le comptoir de la boutique, les mains dans les poches de mon tablier, je pleurais…
C’est alors qu’une dame est entrée. Une prof d’école secondaire qui m’envoyait des stagiaires. Je l’avais rencontrée 2-3 fois seulement pour parler des stages. Elle m’a regardée et m’a demandé ce qui se passait. «Je ferme boutique, lui ai-je répondu. Je fais faillite». Elle a fait ni une, ni deux et m’a secoué les puces : en une heure, on avait décidé de la marche à suivre pour fermer boutique de façon digne et professionnelle. Mon premier ange était arrivé. Dix jours plus tard, quand l’huissier est venu, la boutique était vide et le processus de faillite était enclenché.
Après avoir frôlé la mort physique, voici qu’une autre mort venait me toucher, celle de fermer une boucle de vie avec ce travail que j’aimais beaucoup pour passer à une autre étape de ma vie. J’ai fait faillite, entourée d’autres anges humains qui sont alors arrivés dans ma vie sans que je ne demande rien et qui m’ont aidée à toutes sortes de niveaux. J’ai ainsi fermé cette boucle dans la paix.
Le temps était venu de passer à autre chose et je n’arrivais pas à le faire car j’avais le nez trop collé sur tous les problèmes financiers au lieu d’être dans la création, là où, quand j’y étais, l’argent entrait dans ma vie sans se faire prier. Je ne voyais pas qu’il n’y avait plus d’autre issue que de fermer et j’aurais dû le faire bien avant.
Nous vivons des petites morts à chaque étape de notre vie, tout au long du chemin sur lequel nous sommes lancés à notre naissance. Avant que la Mort ne vienne nous faire vivre une nouvelle étape, profitons et savourons chaque instant, dans l’ici et maintenant, dans la paix immuable d’un espace où le temps s’arrête pour nous laisser savourer la Vie….
Dominique Jeanneret
Thérapeute, Québec
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* Quand ce que l’on recherche est rare, et que le test utilisé n’est pas parfaitement spécifique, il est généralement beaucoup plus probable qu’un cas déclaré positif soit en réalité un faux positif. Wikipedia
oui, la vie n’est qu’un succession de petites morts et de renaissances. Savoir faire le deuil est nécessaire pour vivre dans la paix.
Un grand merci pour tous vos articles.
merci Dominique, pour ce témoignage poignant. Il est très touchant, très vibrant… Comme quoi, ce que l’on appelle des « difficultés » sont des enseignements hors normes ! Difficiles en tout cas à
voir sur le moment…
Merci à toi pour ta sincérité.
Je crois qu’il est très difficile de penser que le négatif est un signe et que l’accepter peut permettre le dépasser pour agir le mieux possible et peut-être provoquer du positif à partir de ce
négatif.(les voies de Dieu sont impénétrables).
Merci pour le partage inspirant. Si dans des situations « suposément » extrême où il est difficile pour l’ego de voir une solution ce présenter, la réponse ce présente en l’espace d’un instant. Je
vous invite à réaliser ce que sera votre vie si vous êtes toujours dans l’instant présent. Il est évident que votre vie serait toujours abondante de tout. C’est cela la spiritualité, l’éveil
spirituel. Je vous invite à regarder un vidéo qui complète ces expériences de vie partagé ici. http://www.education-spirituelle-meditation.com/c-quoi-la-spiritualite.html Quand on prend conscience
du pourquoi on est ici, on commence immédiatement à « être ». Ce n’est pas un travail, c’est un vigilance de chaque instant.
Namaste
Les expériences de mort imminente sont source d’une grande sagesse il faut lire ce que les témoins disent de manière scrupuleuse.